Friday, 12 July 2013

Souvenirs



Aller chercher du bois. Cela faisait bien longtemps que Klark n'avait pas entendu ces mots ailleurs qu'à travers l'écran du soir, qui camouflait autant l'ennui que la réalité. Cette petite expression lui avait réchauffé le cœur et fait trémousser la moustache. Sur son chemin il entonnait à présent une chansonnette. Par n'importe laquelle, celle qui en ville était un signe secret de ralliement. Ce n'était pas lebateau de la Méduse...Il était heureux et le périple ne faisait que commencer.

Pour avoir un peu de temps pour souffler ils avaient choisis de faire chacun leur ballade le temps de la récolte du combustible et Albert n'aimait pas cela. Il avait une ouïe peu commune qui lui faisait percevoir des sons que peu pouvait aspirer à entendre. Le crépuscule était un des moments les plus actifs dans la forêt et il le savait bien. Il avançait doucement, observateur, méfiant, retenant sa respiration au besoin, et toujours le dos courbé de façon à ne pas être détecté facilement. Son corps était tendu si bien qu'après cinq minutes il commençait à trembler doucement. Albert ne connaissait que trop bien tout cela. Des quatre membres de l'équipe il était probablement celui qui avait vu le plus. Il avait beau essayer tant bien que mal de se détendre, son corps refusait obstinément. Et cela depuis environ une dizaine d'année. Il n'essayait pas d'oublier mais ces souvenirs étaient d'une intensité telle qu'ils avaient marqué son corps tel un venin qui peux rester dans le sang des mois voire des années, et qui parfois, lorsque que la tension monte, peut se réactiver. En temps normal, il ne pensait pas souvent à tous ces détails. La phrase qui résonnait dans son crane chaque matin était celle prononcée par sa mère avant son départ: Va mon fils et ne te retourne pas. Nous t'attendrons là-bas. Il s'en était allé et se questionnait toujours sur le sens du là-bas. À l'époque, cela avait un sens précis. Au fur et à mesure des évènements un peu moins. La ville avait été rasée de la carte et Albert se demandait toujours si les mots de sa mère avaient été pensés pour être prémonitoires. C’était durant cette longue année de recherche qu'il avait appris à se méfier. Trop nombreux étaient les agences de voyages qui promettaient de partir sur les traces des disparus avec des fausses closes de "pas de papa retrouvé, voyage remboursé". Il s'étaient fait rouler par la machine marketing, s'était rebellé pendant le périple et avait fini par partir seul dans la Nature, tout mais ne pas rentrer à la ville gris et au petit boulot de nuit dans l'espoir de pouvoir voyager sur le lieu-dit. Maya. Y penser le faisait frémir de peur et d'excitation à la fois. Il en était venu à accepter les réactions de son corps et avait appris à évoluer dans la zone rouge. Il prenait appui sur sa pratique de l'apnée depuis son plus jeune âge pour savoir ce dont le corps était vraiment capable. Cette année passée loin de tout l'avait aguerri. Il était revenu avec des indices, des traces, et quelques séquelles. Cela faisait maintenant 5 longues années qu'il s'était tant bien que mal réconcilier avec la ville et des dédales de ruelles. Il avait gardé un cahier orange. Il lui arrivait de le feuilleter et d'essayer de comprendre. Qui était-il pendant ces temps sauvages, qu'avait-il découvert a Maya? Ce dont il était sur était la suite. Réveil sur un lit blanc avec cette étrange marque sur son bras droit. Et puis cette sensation, comme si l'espace qui s'étendait de son épaule gauche à la fin de ses dernières phalanges était mystérieusement difforme. 6.28cms de plus ou alors tel que son ami le matheux lui avait décrit cela, deux Pis. Il lui avait fallu du temps pour se sentir chez lui dans son nouveau corps qui se relevait après une dure chute et ces mémoires envolées. Sa famille, un oncle et une sœur, et ses amis semblaient différents. Le Monde lui semblait modifié. Les couleurs étaient plus intenses et les sons plus précis. Un peu trop pour être normal se disait-il. Il entendait et il voyait tellement plus que les autres. Il se demandait parfois la part de réalité dans ce qui semblait s'afficher autours de lui. Ainsi il voyait souvent cette paire d'yeux noir entourée d'une capuche grise le fixer. Il lui semblait s'agir d'une sorte de mini moine, un mètre de haut pas plus. Il était partout. Entre lui et ses amis au bar, le soir les pieds au plafond et la tête en bas, parfois même assis à côté de lui quand il prenait ses repas seul durant sa pause déjeuner. La vie l'avait touché il était devenu un autre homme. Loin des acrobaties et de l'arrogance de la vie à la télé ou tout est rose, propre et sans douleur, la vie l'avait touché. Il avait l'impression que les seuls qui le comprenaient été ceux comme lui qui avait vécu un traumatisme. Cela ne l'avait  pas découragé, bien au contraire, il se méfiait simplement un peu plus. Et c'est ainsi qu'il était entré à l'Union pour la Nature. Il avait en effet compris que l'argent glané en ville ne lui permettrait sans doute jamais de pouvoir repartir, alors même si tout lui indiquait de ne pas rejoindre l'Union, c'était sa seule option.

Wednesday, 3 July 2013

Etapes

C'était sur ces forums qu'il avait rencontré Pauline. Depuis toujours passionnée par les loutres albinos, celle ci postait régulièrement des photos de ses animaux préférés, de leur prouesse de domptage, de leur belle tenue. Ce contact douillet et vaguement aseptisée avec la Mère, la Mère nature, lui permettait comme à Klark et beaucoup d'autres ames perdues de survivre, de tenir, loin, dans les abimes des villes, loin du sein de la Mère. 

Mais Pauline n'était pas ainsi. Il lui fallait plus. Peut être étaient-ce les vacances, à partir de ses 10 ans, loin dans un petit village reculé. Peut être étaient-ce les souvenirs douloureux atachés au béton, ceux de la séparation de ses parents. Peut être étaient-ce les retrouvailles sincères et instinctives, avec la Mère, lors des weekends en camping sauvage avec ses amis étudiants. Toujours est il qu'elle savait, et que si les loutres albinos étaient un bon coupe faim, il lui fallait plus. Il lui fallait le steak.

Elle avait tenu pendant un temps. Le lycée, les études. Elle était sortie de l’adolescence vers l’age adule en gardant cette touche avec la Mère, ce contact, en retournant régulièrement dans Ses bras, le temps d’un weekend dans les bois, pendant une semaine de vacances perdue dans une campagne lointaine, loin des villes, ou durant ces mois à arpenter la moiteur végétale de pays lointains. A cette époque le temps était abondant; mais l’air des villes n’aimaient pas le temps. La ville suçait le temps de ceux qui rentraient dans lageadulteoulontravaille, de la même façon qu’une chauve souris vide sa victime de son sang.

Pauline avait tenté de survivre, comme les autres, avec cette perfusion de la Mère, ces animaux domestiques. Cela lui permettait de tenir, d’enchainer les lettres de motivations, entretiens et autres compétitions. De tenir, d’accepter désormais Sa distance, de sacrifier son temps à la ville pour un boulotpassurkiffantmaisbonçapaieleloyer. A cette époque, Pauline voulait encore vivre à la ville, pensant avoir quand même du temps pour la Mère. Mais la ville avait prélevé son sanglant loyer et l’avait privé de ses retours vers Elle.

Elle avait explosé en vol. Un entretien, une bonneboitetreselectivequipaiebien. On lui demande ce qui fait la différence entre elle et les 86 autres candidats, bardés des même diplômes et portant les même costumes, identiques en tout points.

« 
-Femme à barbe.
-Pardon ?
-Je suis femme à barbe. Oh, vous ne pouvez pas le voir, je me suis rasé avant de venir. Mais j’ai de la barbe, autant que votre petit fils, celui qui a mon age. Je m’en suis accommodé  Je me rase toutes les deux semaines, et entre temps, je laisse pousser ma barbe comme un jardinier ses buis. Les cinq derniers jours, j’arbore une coupe nouvelle, originale et fraîche  une sculpture sur barbe ou je dessine, j’exprime, je fais de l'art. Ce sont des œuvres éphémères, c'est une ode à tous les barbiers, que je chante toutes les deux semaines. Voila ce qui fera la différence: vous ne vous ennuierez pas de moi, je vous l'assure.
»

La fureur des recruteursévéresmaisquitedonnentenvie devant une telle moquerie, évidemment fausse, avait été sans pareille. Mais sur le chemin de la sortie, c’était autre chose qui perturbait Pauline. Pourquoi, pourquoi faire tout voler en éclat à ce moment la ? Qu’elle était cette chose, cet instinct qui lui avait soudain crié ATTENTION ! ? Elle avait décidé de rejoindre le groupe pour cela. C’était une quête, une recherche, une épopée vers la Mère.

Elle avait gardé de son passé de jeunediploméequichercheuncontratquelquilsoit la capacité à se montrer décidée et ferme, en affirmant des choses qu’elles savaient fausses. La capacité à prendre des décisions, à appliquer la logique à outrance. C’était pour cela qu’elle avait été désignée tête. Même si, au fond, elle le savait, les barbes fleuries et la folie qui les accompagnait étaient proches.

Arnaud secoua la tête, un peu étourdi. Les réveries souvent l’envahissaient ainsi et il contemplait ses amis, repensant à leurs histoire respectives. Ils avaient repris des forces dans la crique, en avaient fait le tour pour y chercher un chemin, et avaient trouvé entre les buissons sauvages un chemin depuis longtemps inutilisé. Celui-ci était large pour environ deux personnes, et grimpait ardemment à travers les rochers puis le long du flanc de la montagne. Des marches taillées dans les rocs du chemin indiquaient que celui ci n’était pas le simple fait d’animaux mais bien de l’Humain.

Ils étaient repartis, escaladant tant bien que mal les rochers, se passant les sac l’un à l’autre dans les passages les plus ardus. Ils étaient à présent sur un versant relativement plat, qui culminait peu à peu vers l’ouest à un passage de col derrière lequel était caché le village. En se retournant, Arnaud aperçu entre les derniers rayons du soleil qui descendaient le lacet final de la route s’évanouir et disparaitre. Ils y étaient, à présent. Il entendait déjà Son appel, sentait Sa chaleur réconfortante. La Mère. Il eut le sentiment de retrouver des sensations depuis longtemps perdues, celle que l'on apprécie en faisant "oooooh" en souriant en réalisant soudain que oui, oui, ça m'avait manqué.

La nuit tombait et tandis qu’Albert, Klark et Pauline établissaient un campement, Arnaud préparait la cérémonie.