C'était sur ces forums
qu'il avait rencontré Pauline. Depuis toujours passionnée par les loutres
albinos, celle ci postait régulièrement des photos de ses animaux préférés, de
leur prouesse de domptage, de leur belle tenue. Ce contact douillet et
vaguement aseptisée avec la Mère, la Mère nature, lui permettait comme à Klark et beaucoup d'autres ames perdues de survivre, de tenir, loin, dans les abimes des
villes, loin du sein de la Mère.
Mais Pauline n'était pas
ainsi. Il lui fallait plus. Peut être étaient-ce les vacances, à partir de ses 10
ans, loin dans un petit village reculé. Peut être étaient-ce les souvenirs
douloureux atachés au béton, ceux de la séparation de ses parents. Peut être
étaient-ce les retrouvailles sincères et instinctives, avec la Mère, lors des
weekends en camping sauvage avec ses amis étudiants. Toujours est il qu'elle
savait, et que si les loutres albinos étaient un bon coupe faim, il lui fallait
plus. Il lui fallait le steak.
Elle avait tenu pendant
un temps. Le lycée, les études. Elle était sortie de l’adolescence vers l’age
adule en gardant cette touche avec la Mère, ce contact, en retournant
régulièrement dans Ses bras, le temps d’un weekend dans les bois, pendant une semaine
de vacances perdue dans une campagne lointaine, loin des villes, ou durant ces mois à
arpenter la moiteur végétale de pays lointains. A cette époque le temps était
abondant; mais l’air des villes n’aimaient pas le temps. La ville suçait le temps
de ceux qui rentraient dans lageadulteoulontravaille, de la même façon qu’une chauve souris
vide sa victime de son sang.
Pauline avait tenté de
survivre, comme les autres, avec cette perfusion de la Mère, ces animaux
domestiques. Cela lui permettait de tenir, d’enchainer les lettres de
motivations, entretiens et autres compétitions. De tenir, d’accepter désormais
Sa distance, de sacrifier son temps à la ville pour un boulotpassurkiffantmaisbonçapaieleloyer.
A cette époque, Pauline voulait encore vivre à la ville, pensant avoir quand même du temps
pour la Mère. Mais la ville avait prélevé son sanglant loyer et l’avait
privé de ses retours vers Elle.
Elle avait explosé en
vol. Un entretien, une bonneboitetreselectivequipaiebien. On lui demande ce qui
fait la différence entre elle et les 86 autres candidats, bardés des même
diplômes et portant les même costumes, identiques en tout points.
«
-Femme à barbe.
-Pardon ?
-Je suis femme à barbe. Oh,
vous ne pouvez pas le voir, je me suis rasé avant de venir. Mais j’ai de la
barbe, autant que votre petit fils, celui qui a mon age. Je m’en suis accommodé Je me
rase toutes les deux semaines, et entre temps, je laisse pousser ma barbe comme
un jardinier ses buis. Les cinq derniers jours, j’arbore une coupe nouvelle, originale et fraîche une sculpture sur barbe ou je dessine, j’exprime, je fais de l'art. Ce sont
des œuvres éphémères, c'est une ode à tous les barbiers, que je chante toutes les
deux semaines. Voila ce qui fera la différence: vous ne vous ennuierez pas de moi, je vous l'assure.
»
La fureur des
recruteursévéresmaisquitedonnentenvie devant une telle moquerie, évidemment
fausse, avait été sans pareille. Mais sur le chemin de la sortie, c’était autre
chose qui perturbait Pauline. Pourquoi, pourquoi faire tout voler en éclat à ce
moment la ? Qu’elle était cette chose, cet instinct qui lui avait soudain
crié ATTENTION ! ? Elle avait décidé de rejoindre le groupe pour
cela. C’était une quête, une recherche, une épopée vers la Mère.
Elle avait gardé de son
passé de jeunediploméequichercheuncontratquelquilsoit la capacité à se montrer décidée
et ferme, en affirmant des choses qu’elles savaient fausses. La capacité à
prendre des décisions, à appliquer la logique à outrance. C’était pour cela qu’elle
avait été désignée tête. Même si, au fond, elle le savait, les barbes fleuries
et la folie qui les accompagnait étaient proches.
Arnaud secoua la tête,
un peu étourdi. Les réveries souvent l’envahissaient ainsi et il contemplait
ses amis, repensant à leurs histoire respectives. Ils avaient repris des forces
dans la crique, en avaient fait le tour pour y chercher un chemin, et avaient trouvé entre les buissons sauvages un chemin depuis longtemps inutilisé. Celui-ci
était large pour environ deux personnes, et grimpait ardemment à travers les rochers puis le long
du flanc de la montagne. Des marches taillées dans les rocs du chemin
indiquaient que celui ci n’était pas le simple fait d’animaux mais bien de l’Humain.
Ils étaient repartis,
escaladant tant bien que mal les rochers, se passant les sac l’un à l’autre dans
les passages les plus ardus. Ils étaient à présent sur un versant relativement
plat, qui culminait peu à peu vers l’ouest à un passage de col derrière lequel
était caché le village. En se retournant, Arnaud aperçu entre les derniers rayons du
soleil qui descendaient le lacet final de la route s’évanouir et disparaitre.
Ils y étaient, à présent. Il entendait déjà Son appel, sentait Sa chaleur réconfortante. La Mère. Il eut le sentiment de retrouver des sensations depuis longtemps perdues, celle que l'on apprécie en faisant "oooooh" en souriant en réalisant soudain que oui, oui, ça m'avait manqué.
La nuit tombait et
tandis qu’Albert, Klark et Pauline établissaient un campement, Arnaud préparait
la cérémonie.
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