Thursday, 27 June 2013

Crique

     C'était une petite zone ronde d'une vingtaine de mètres de diamètre. A cause de la topologie particulière du lieu, les arbres encerclant l'endroit avaient poussé un peu de travers englobant la crique dans une cage de végétation. Rien ou si peu filtrait de l'extérieur si bien qu'un randonneur anodin pourrait facilement passer très proche sans se douter de la présence du lieu. Mais de randonneur anodin il n'y en avait point. Dans cette montagne la Nature avait repris le dessus. Depuis l'invention du goudron et l'intensification de l’agriculture pour nourrir les 5 milliards d'habitants supplémentaires, toutes les zones un peu difficile d'accès avaient été laissées à l'abandon. Les gens s'entassaient dans les villes et les robots dans les champs plats. Pauline était pensive à l'idée de la nouveauté qui l'entourait et qu'il allait falloir dompter, prendre en main, et potentiellement maîtriser. Si bien qu'elle n'entendis pas Klark arriver:

Hé ho du bateau, tu nous donnes un coup de main? - Klark soufflait fort après son ascension.
Vas-y Arnaud passe la corde autours de ta taille et de tes épaules comme cela. Voilà, maintenant un pied sur chaque bord et puis on va te tirer vers le haut pour soulager l'effort. Allez Paupau à trois...un...deux...trois! C'est bon, tu tiens le bon bout, on continue comme ça et dans deux minutes tu es en haut. Super maintenant, à toi Albert...Non ne t'inquiète pas on a fait le bon choix...oui, voilà on ira explorer l'autre côté en revenant...Hein? Une photo? Ok ok mais rapidos alors, ce serait quand même bien d'arriver au village avant la tombée de la nuit. Allez go là, on s'équipe et puis on y va. Voilà gauche d'abord, là, le gros caillou. Albert, que se passe-t-il? - mou dans la corde pendant un instant furtif - Oui je te vois, non rien de spécial, allez tu y es presque. Tu va voir, cet endroit est parfait pour un gros jambon-cornichons – dit Klark en référence à son héros favori.

Il avait été décidé de faire une courte pause. Albert racontait à tout le monde que l'espace d'un instant il lui avait semblé voir quelque chose bouger au loin, sur le chemin. Les deux autres ne semblaient pas plus touchés que cela. Connaissant sa couardise, chacun savait ne pas faire attention à tout ce que disait Albert. Arnaud avait trouvé la bonne expression : tu as aperçu ta propre peur.

Cette crique était littéralement un endroit rêvé pour le moustachu. Depuis bien longtemps, il aimait se laisser entrer dans la peau des trappeurs et autres hommes du monde. Le soir en rentrant du travail il s’affalait dans le canapé et pendant que sa ration du soir tournait en rond dans le petit four il se connectait à la chaîne N, Nature. Il y retrouvait chaque soir un Ranger Joe tout sourire prêt à tout pour lui faire oublier le gris de la ville et penser au vert caché dans le lointain. Les épisodes se suivaient et se ressemblaient. Tout d'abord grand angle et paysage interdit, somptueux, et zoom à n'en plus finir sur cette petite tâche qui se révélait finalement être le Ranger avec son à dos TopTop et son chapeau de paille. Il allait nous raconter une histoire. Ce soir là il s'agissait de l'autruche des bois. Il semblait qu'elle escaladait les troncs à l'aide de son bec et de ses ailes. Ces dernières lui permettaient de léviter dans l'air sylvestre grâce à la forte proportion de spores de champignons dans l'air. Klark, se frottant la moustache, se demandait souvent si tout ceci était bien vrai étant donné qu'il était facile de truquer les images, que les films était fait 100% en studio et que ni l'acteur Joe ni son équipe n'avait probablement été vérifié que ce qu'il présentaient était effectivement conforme à la réalité. Alors dans le secret de la nuit, et souvent jusqu'à une heure bien avancée, il se connectait à la Toile. Et c'est sur de bon vieux forums qu'il entretenait de grande discussions. Forcément, un peu sur la théorie du complot du début des années 2000, sujet devenu iconique dans les cercles de gens qui se questionnaient. Le rôle des grandes multinationales dans la virtualisation du savoir permettait de bien commencer une discussion avec un inconnu. Mais ce que préférait Klark était les discussions plus secrètes, sur la vie dans la Nature. Tout y passait de comment faire du feu, des tables avec des troncs ou alors cuire des animaux. Comment lutter face à un rhinocérose ou un troupeau de marmottes des sables. Il arrivait même parfois que ces discussions se transforment en aventures dans ses rêves. Il était le Ranger Joe et allait apprendre à tous comment on devait s'y prendre pour construire le meilleur bivouac.

Sunday, 16 June 2013

Ascension

"Les lianes."
Rapide et concise. La moustache avait parlé. Personne ne songeât à discuter ou argumenter.
Chacun son rôle. Ils l'avaient décidé sur la route, entre deux pauses, dans un moment de creux ou chacun songeait vaguement à sa vie d'antan, d'hier en fait, si proche et à la fois si loin déjà. C'était Albert qui avait parlé le premier.

"Pénible. C'est pénible ce constant yoyo, de savoir, puis non, de doute et de conviction. Qu'est ce qu'on va trouver la haut? Mais en même temps, que laisse on ici? Oui mais, et si quelque chose va mal? Et si l'un de nous a besoin d'un médecin, de soin? Et quoi, tu préfères rester ici à attendre patiemment de crever d'une infection quelconque, des poumons à force de sucer constamment les pots d'échappements et les cheminées des usines, ou en bouffant un énième plat industriel à la pisse d'auroch de contrefaçon?"
Et Arnaud avait répondu. "C'est vrai. C'est pénible. Je passe moi aussi par toutes ces phases. C'est comme si j'avais besoin de débattre sans arrêt dans ma tête. Parfois j'y pense tellement que ça me coupe du groupe."
Tous acquiescèrent, vaguement soulagés de savoir que la route vers les sommets de l'âme serpentait pour tous le monde. Et la solution vint de Pauline. Ils étaient désormais un groupe. Ils fonctionneraient comme un seul organisme. Ils se partageraient les émotions, les sentiments, les responsabilités. A Pauline la planification, la logistique. A Arnaud l'élévation, la spiritualité. A Albert les doutes, les angoisses. A Klark le jugement, les décisions.

"Les lianes." La décision avait été prise. Chacun l'acceptât en silence. Nouveau monde, nouvelles règles. Et quelque part, c'était plus simple ainsi.

Pauline prit la parole
"Bon. Dans ce cas la, il va falloir me porter, je passerai la première puis je vous enverrais la corde une fois en haut."
"Il n'y a pas de danger, tu es sure?" répondit Albert
Arnaud le regardais en souriant. "Elevons nous, mon ami."

Le bruit descendait doucement le long de ce qui ressemblait au lit d'une cascade asséchée. Deux parois se faisaient face, espacées d'un petit mètre seulement, et agrémentées ça et la de petites touffes végétales, fougères, herbes folles et fleurs rouge vif. Quelques lianes pendaient le long de la paroi, grosses tiges végétales de quelques centimètres de diamètre, sans doute suffisantes pour un appui ponctuel, pas assez pour une ascension complète.

Pauline prit appui sur les deux épaules de ses compères qui s'étaient rapprochée, se souleva une première fois pour poser ses genoux sur une épaule de chaque, puis, en appuyant ses mains sur les deux parois rocheuses, se hissât jusqu'à pouvoir y appuyer également ses deux pieds. La situation était périlleuse, et chacun redoutait de voir leurs plans glisser et … Eviter, éviter d'y penser.

Mais rapidement, Pauline se mit à monter en agrippant deux lianes, et en gardant ses deux pieds en tension entre les parois. Elle fut rapidement en haut, se hissât sur le ventre, essoufflée, extirpant le reste de son corps de l'abime, s'éloignant du précipice. Elle pouvait être la logique, elle n'en avait pas moins des restes d'émotions, et sa peur panique du vide venait de surgir, sans qu'elle l'attende, comme un gros bouton d'acné la veille de la fête du lycée.


Se calmer lui prit quelques minutes. Elle fit un geste rapide pour répondre aux inquiétudes communes qu'exprimait Albert, soufflât pendant encore un instant. La corde, sortir, les autres, en bas. Un point d'attache. Elle n'avait jamais fait d'escalade, aussi elle choisit ce qui lui semblât le plus solide dans son entourage immédiat, un jeune chêne robuste, solidement arrimé à la paroi, prêt à hisser ses compagnons sur la falaise. Quelques tours du tronc, un nœud, puis la corde fut jetée vers l'esprit, le cœur et l'épée, le temps d'apercevoir le vide une dernière fois et de s'en éloigner une bonne fois pour toute. Pauline s'assit par terre, la tête entre les jambes, tournant le dos à l'ascension de ses amis. Les yeux fermés, elle se concentra une dernière fois, respira un grand coup et décida de ne plus y penser. Ce n'est qu'en relevant la tête qu'elle découvrit la crique qui l'entourait, et que la peur l'avait empêché de voir quelques instants auparavant.

Sunday, 9 June 2013

Symphonie

La voiture couinât une nouvelle fois, de façon plus insistance, comme si elle voulait nous dire quelque chose. Il fallu un troisième bruit pour alerter nos marcheurs et lorsque Pauline se retourna c'était déjà trop tard. La voiture était libre et dévalait la pente en direction du torrent.

« Le frein à main, bordel, le frein à main ! » fit Albert, se parlant à lui-même, en passant à toute allure devant Pauline. C'était trop tard, la voiture plongea la tête la première dans l'eau glacée de la rivière et disparut peu à peu en laissant les arbres des alentours marqués de son passage. Après un silence gêné la conversation explosa. Comment en était-on arrivé là, pourquoi Albert avait-il oublié le frein? Voilà on aurait pas du le laisser conduire dix heures d'affilés dans ces routes sinueuses, certes on voulais arriver a temps mais bon, a quoi bon si on devait déjà faire demi-tour. C'est Pauline qui finalement répondit à la question que tous se posait .

« Mes amis, hier encore nous étions en ville, dans nos appartements, dans nos villas, dans nos piscines. Le signe s'est manifesté et nous sommes partis. Nous avons suivis le chemin, bon gré mal gré, et nous voici maintenant au début de la voie. Le futur est dans cette direction » Elle montrait de la main le sentier serpentant a travers la vallée et s’élevant sur le flanc de la montagne. Il faudrait le suivre pour débuter l'aventure. Le groupe se mit en marche. Durant la première demi-heure, seul les bruits des pas et le tintements des casseroles brisait le silence de cette fin de matinée. Arnaud, décida que c'était le moment opportun pour tester son système et décida d’agréer la ballade d'une mélodie radieuse jouée à mi-volume. Arnaud remarqua que des haies de cyprès marquait le bord du chemin et bientôt ils arrivèrent à la lisière de la fôret.

Les sous-bois avait une odeur de sève et la musique résonnait sur les troncs donnant un côté mystique aux notes clairsemées. Les rayons de soleils filtraient a travers le couvert feuillus et se reflétaient sur l'humidité du sol et des fougères. Il était doux de se laisser bercer dans cette belle journée qui ne faisait que commencer.

« C'est incroyable tout de même. Elle était là et puis pouf disparue. Enfin je sais pas moi elle datait de 1927, la dernière année. Peut-être même la dernière tout court comment on le saurait....
- La voiture n'existe plus – remarqua Arnaud.
- Ca y est tu es encore en mode yogi ou je sais pas trop quoi, a faire genre on a rien mais on est content. C'était mon trésor, tu sais combien de thunes j'y ai passé ? Et les pâtes au beurre a se farcir pour un phare...A lala elle ne m'aura pas donné une vie facile tiens. Elle se croyait tout permis c'est moi qui vous le dit. Au fond, elle l'a sûrement méritée. Peut-être même que je l'ai fait un peu exprès, je me rappelle plus très bien. - il se grattait la tête.
- Bon on va pas en faire des salades de ta voiture – dit l'un.
- Une de perdue zéro de retrouvée, tu verras on est bien mieux comme ça. Et puis c'est ce que l'on s'était dit non ? On se débarrasse de l'inutile au fur et à mesure.
- Enfin moi j’espère qu'on va pas finir à poil quand même, je sais ce que l'on a dit mais bon...
- Shhhhhh » .
Pauline était arrêtée le poing en l'air. Il fallait faire silence.

Et depuis le fond des bois ils entendirent comme un chuchotement. D'abord peu distinct, et au fur et à mesure que les secondes s'écoulaient c’était de plus en plus clair : le ruisseau ne pouvait plus être loin. Le chant de l'eau sur les roches plates arrivait maintenant comme une pensée, invisible mais si intense. Klark se frottait la moustache en fronçant les sourcils. Il semblait que cette étrange moue lui permettait de se concentrer mieux et plus vite qu'aucun, Il fallait choisir. Le son semblait provenir d'un endroit directement au-dessus d'eux tandis que le chemin allait vers ce qui semblait être l'entrée d'un passage ciselé par des humains. Fallait-il grimper en s'aidant des lianes au besoin ou poursuivre sur le sentier ? La moustache donna son avis.

Sunday, 2 June 2013

Départ

"Ouaaaa c'est loin putain, tu sais combien de temps ça mets jusque la bas?"
"Trois grosses heures, normalement. Mais avec la pluie je sais pas, on risque de galérer un peu plus."

Les portières de la voiture claquérent et il descendirent. Chacun avait son sac perso, avec de quoi dormir, manger, et boire. Ils ne savaient pas encore trop à quoi s'attendre, aussi ils avaient prévu large et pouvaient tenir jusqu'au lendemain soir.

"Je passe devant?"
"Ouais vas y. De toute façon le chemin est pas marqué, il faut suivre le pic."

Elle se tourna dans la direction indiquée, sans pour autant se mettre en route. C'est vrai que c'était impressionant. Ils ne l'avaient pas imaginé comme ça. On leur avait beaucoup parlé du village. L'église abandonnée, dont le clocher à moitié écroulée abritait des chauves souris la journée et des chouettes en fin d'après midi. La cour de l'école, avec son bac à sable recouvert de verdures et les marroniers qui commençaient à pousser au milieu des marelles et autres terrain de foot.

Mais de la vallée, pas un mot.

Celle-ci s'étendait devant eux, tel un paysage de carte postale vieillote, vaguement flouté par les ondulations du soleil. Le cours d'eau sous le pont à coté duquel était garé la voiture serpentait doucement au travers de la gadoue et des herbes hautes, remontait peu à peu vers le flanc droit de la vallée, et partait soudain dans les pins qui peu à peu peuplaient le versant de la montagne. A cet endroit la, la végétation se densifiait et on pouvait voir que, malgré la sécheresse des années passées, les fréquents incendies de la région avaient épargnés la vallée.

Lorsque l'on remontait plus franchement l'une ou l'autre des montagnes qui encadraient la forêt, on pouvait voir de nombreux éboulis, enchevétrements de roches et de buissons, les uns déposés la par les caprices du temps et les autres, éclos ici par la force de la vie.

"Et tu es sur que l'eau du ruisseau est potable?"
"Il parait. En tout cas c'est l'eau qu'ils buvaient, la haut."
"C'est ptet pour ça qu'ils sont tous morts, non?"
"Haha t'es con. Je sais pas, ils m'ont pas vraiment dit pourquoi les gens étaient partis. On demandera aux gens qui habitent à Vallergue, en redescendant."

Il était 11h du matin, soit à peu de choses prés la plus mauvaise heure pour commencer à marcher. Le tapis d'herbes séche qui s'étalait entre la forêt et eux prendrait une heure à traverser, puis ils seraient à l'ombre des arbres. Rien d'insurmontable. Une fois dans la forêt, il suffisait de suivre le cours d'eau jusqu'au village. L'ascension était semble t-il relativement aisée, à part certains tronçons pour lesquelles ils auraient besoin d'une corde. Pauline avait était chargée de la trouver, les autres s'occupaient du manger, du boire et du reste.

"Bon. On y va?"
"Ouais ouais c'est parti."



La voiture couinat, les clés sautérent dans un sac qui lui-même grimpat sur le dos d'un des randonneurs, et ils partirent.