Sunday, 16 June 2013

Ascension

"Les lianes."
Rapide et concise. La moustache avait parlé. Personne ne songeât à discuter ou argumenter.
Chacun son rôle. Ils l'avaient décidé sur la route, entre deux pauses, dans un moment de creux ou chacun songeait vaguement à sa vie d'antan, d'hier en fait, si proche et à la fois si loin déjà. C'était Albert qui avait parlé le premier.

"Pénible. C'est pénible ce constant yoyo, de savoir, puis non, de doute et de conviction. Qu'est ce qu'on va trouver la haut? Mais en même temps, que laisse on ici? Oui mais, et si quelque chose va mal? Et si l'un de nous a besoin d'un médecin, de soin? Et quoi, tu préfères rester ici à attendre patiemment de crever d'une infection quelconque, des poumons à force de sucer constamment les pots d'échappements et les cheminées des usines, ou en bouffant un énième plat industriel à la pisse d'auroch de contrefaçon?"
Et Arnaud avait répondu. "C'est vrai. C'est pénible. Je passe moi aussi par toutes ces phases. C'est comme si j'avais besoin de débattre sans arrêt dans ma tête. Parfois j'y pense tellement que ça me coupe du groupe."
Tous acquiescèrent, vaguement soulagés de savoir que la route vers les sommets de l'âme serpentait pour tous le monde. Et la solution vint de Pauline. Ils étaient désormais un groupe. Ils fonctionneraient comme un seul organisme. Ils se partageraient les émotions, les sentiments, les responsabilités. A Pauline la planification, la logistique. A Arnaud l'élévation, la spiritualité. A Albert les doutes, les angoisses. A Klark le jugement, les décisions.

"Les lianes." La décision avait été prise. Chacun l'acceptât en silence. Nouveau monde, nouvelles règles. Et quelque part, c'était plus simple ainsi.

Pauline prit la parole
"Bon. Dans ce cas la, il va falloir me porter, je passerai la première puis je vous enverrais la corde une fois en haut."
"Il n'y a pas de danger, tu es sure?" répondit Albert
Arnaud le regardais en souriant. "Elevons nous, mon ami."

Le bruit descendait doucement le long de ce qui ressemblait au lit d'une cascade asséchée. Deux parois se faisaient face, espacées d'un petit mètre seulement, et agrémentées ça et la de petites touffes végétales, fougères, herbes folles et fleurs rouge vif. Quelques lianes pendaient le long de la paroi, grosses tiges végétales de quelques centimètres de diamètre, sans doute suffisantes pour un appui ponctuel, pas assez pour une ascension complète.

Pauline prit appui sur les deux épaules de ses compères qui s'étaient rapprochée, se souleva une première fois pour poser ses genoux sur une épaule de chaque, puis, en appuyant ses mains sur les deux parois rocheuses, se hissât jusqu'à pouvoir y appuyer également ses deux pieds. La situation était périlleuse, et chacun redoutait de voir leurs plans glisser et … Eviter, éviter d'y penser.

Mais rapidement, Pauline se mit à monter en agrippant deux lianes, et en gardant ses deux pieds en tension entre les parois. Elle fut rapidement en haut, se hissât sur le ventre, essoufflée, extirpant le reste de son corps de l'abime, s'éloignant du précipice. Elle pouvait être la logique, elle n'en avait pas moins des restes d'émotions, et sa peur panique du vide venait de surgir, sans qu'elle l'attende, comme un gros bouton d'acné la veille de la fête du lycée.


Se calmer lui prit quelques minutes. Elle fit un geste rapide pour répondre aux inquiétudes communes qu'exprimait Albert, soufflât pendant encore un instant. La corde, sortir, les autres, en bas. Un point d'attache. Elle n'avait jamais fait d'escalade, aussi elle choisit ce qui lui semblât le plus solide dans son entourage immédiat, un jeune chêne robuste, solidement arrimé à la paroi, prêt à hisser ses compagnons sur la falaise. Quelques tours du tronc, un nœud, puis la corde fut jetée vers l'esprit, le cœur et l'épée, le temps d'apercevoir le vide une dernière fois et de s'en éloigner une bonne fois pour toute. Pauline s'assit par terre, la tête entre les jambes, tournant le dos à l'ascension de ses amis. Les yeux fermés, elle se concentra une dernière fois, respira un grand coup et décida de ne plus y penser. Ce n'est qu'en relevant la tête qu'elle découvrit la crique qui l'entourait, et que la peur l'avait empêché de voir quelques instants auparavant.

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