Thursday, 24 October 2013

Great balls of fire

- Albert ?
Il se retourna avec un sursaut. C’était Klark.
 -On va commencer, tu viens ? Tu as trouvé du bois ?
-Un peu.
-Ca va ?
-Ca va.
Instant de battement. Klark avait presque l’impression d’entendre les engrenages du cerveau d’Albert grincer, lutter, se dégripper peu à peu.
-C’est amusant la mémoire. Un peu comme un secrétaire gigantesque avec des multitudes de tiroirs imbriqués les uns dans les autres, et avec dans chaque son lot d’instants passés. J’ai perdu la clé de toute une partie du meuble le jour ou je me suis réveillé à la ville. Parfois j’ai des tiroirs qui s’ouvrent à l’improviste. C’est étrange comme sensation. Comme un éternuement coincé qui finit par sortir quand tu t’y attends pas.
-Tu étais ou ?
-Au début de la rébellion. On y va ?

Ils repartirent vers le campement en attrapant quelques branches au passage. Albert n’avait visiblement pas envie de partager plus que ça son souvenir avec Klark. Celui-ci aurait pourtant bien aimé en discuter un peu plus. C’était toujours une des premières questions qu’il posait aux personnes qu’il rencontrait, ou ils étaient le jour de la rébellion  Il était toujours fasciné par ses histoires. Certaines étaient pourtant assez banales : pour la plupart des gens, le vrai choc était venu plus tard, avec l’aboutissement de la rébellion, la destruction de Maya et les pertes innombrables d’êtres chères qui étaient venues avec. Mais pourtant. Il prenait un certain plaisir à les écouter, ces histoires, ces petits moments anodins du passé qui, à l’éclairage d'aujourd’hui  prenaient un sens différent. Il aimait entendre ces sortes de prophéties obscures, promesses terribles et à la fois fascinantes pour le changement qu’elles apportaient. Le changement.

Ils arrivèrent au camp et s’assirent autour du feu qu’entretenait maintenant Arnaud. Pauline était assise, la tête entre les genoux, songeuses. A part Arnaud, aucun n’aurait su comment faire un feu. En fait, ils n’avaient presque même jamais vu de feu. A la ville du tout électrique et du tout sans danger, le feu n’existait plus depuis longtemps sous sa forme primitive. Les plaques à induction, les briquets électro magnétiques et les chauffages à hydrogène avaient pris le relais. Alors, en faire ? Brûler du bois ? Ils savaient que c’était possible. Rien de plus.

Arnaud se leva et attrapa derrière lui ce qui ressemblait à deux petits bols grisâtre  de la taille d’un poing à peu prés. Il les posa un peu plus proche du feu, puis se saisi d’un paquet de branches et de feuilles de petites tailles. Il raconta. Le feu, c’était eux. Les feuilles, c’était la ville. Les branches, c’étaient les autres. Le feu se nourrissait des branches et des feuilles. Mais parfois, on voulait faire grandir le feu trop vite. On lui donner à manger des feuilles, des branches, des feuilles, des branches, tant et si bien que le feu cessait d’essayer de brûler mais uniquement de consommer ces branches, ces feuilles. Il finissait par disparaître  éteint par sa gourmandise et les attentes de ceux qui le nourrissaient.

Le froid les attrapât d’un coup, tandis que les braises rouges qui restaient, étouffées, se tentaient peu à peu de noir et s’étouffaient. Que leur restait il ? Si le bois et les feuilles ne pouvaient rien pour le feu, que pouvaient ils faire ? Arnaud parla alors de l’union pour la nature. Du grand départ. De ce vent puissant qui les avait ceuillis, rassemblés et poussés hors de la ville. Ce vent qui, à présent qu’il soufflait sur les braises, ranimait les braises, réchauffait les feuilles, illuminait les brindilles, transformant en quelques instants le tas de brindilles tiédes en foyer ardent, dépassant de loin le foyer initial, illuminant même les arbres loin, loin derrière Arnaud.

-Et après ? Demanda Pauline. Et après ? Ca brule, c’est bien. Et ensuite ?

-Ensuite, tu as chaud. Ensuite, tu te fais à manger. Ensuite tu prend un peu de ça, dis Arnaud en lui mettant dans la main une poudre sorti d’un de ses deux bols gris. Ensuite, tu peux les jeter dedans, et donner des couleurs à ton feu, si tu veux. Ensuite, tu peux prendre des braises et foutre le feu à la forêt. Ensuite, tu peux jongler avec des branches enflammées. Ensuite, tu peux cautériser une plaie. Ensuite, tu fais ce que tu veux. C’est la beauté du feu : tu peux en faire ce qu’il te plait. Peut importe. Utilise le, nourris le, aime le. C’est tout ce qui compte. Ne le laisse pas s’éteindre.

Ils prirent tour à tour quelques poignées des poudres d’Arnaud, se demandant d’où elles pouvaient bien venir, produits de la ville ou don de la Mère. Mais dans un sens est ce que la ville n’était pas elle aussi un don de la Mère ? Comme des cookies mangés jusqu’à vomir.



Le feu prenait maintenant des couleurs vives, aux gré des mélanges jetés un à un sur le feu par les amis, qui ne parlaient plus. Chacun dessinait son tableau éphémère, individuel, mettant dans chaque couleur une sorte de signification secrète propre à chacun ; mais qui pourtant trouvait une forme de résonance chez les autres. Peu à peu le tableau se transforma, ce n’était plus tableaux individuels, mais bien un seul feu, majestueux, magnifique, et chaque contribution d’un des quatre amis venait compléter la précédente, les émouvant jusqu’aux larmes de se comprendre ainsi, comme des retrouvailles après une très longue séparation.

Sunday, 13 October 2013

Diplôme

Il était impressionné par le fonctionnement de son cerveau. Comme le docteur lui avait indiqué la mémoire pouvait dans certains cas fonctionner de la même façon qu'un muscle. Ainsi, Albert pouvait à présent accéder à des souvenirs depuis longtemps enfouis sous le poids des événements qui avaient succéder ce passage. A en croire que l'adrénaline d'alors avait posé un verrou que sa nouvelle aventure avait détruit. Il se demandait si cela venait du fait de cette nouveauté qui se dessinait sous ses pieds et autours de lui au fur et à mesure de son avancée ou si l'endroit où il était à présent était d'une certaine façon magique. Pour le moment ce qu'il comptait c'était pour lui de se raconter son histoire encore une fois pour en être plus sur.

Il avait un travail. Il était jeune et brillant. Les gens autours de lui l'applaudissait. C'était le jour de la remise des diplômes. La scène se passait en été, probablement à la fin Juin. Ils étaient arrivés en avance comme à l'habitude de la famille. Bizarrement il était vêtu non pas d'un costume ordinaire mais d'une avec une jupe à la place du pantalon. Ce n'était pas pratique pour marcher, enfin ça ira bien. Il sort de la voiture et marche le long du tapis rouge. Il se retrouve dans un bar rempli de jeunes gens qui comme lui vont passer d'étudiants à diplômés. L'ambiance est belle et les gens heureux.

Pause. Albert se demande pourquoi ce souvenir en particulier lui revient et ce qu'il y a ici à découvrir. Il scrute pour être sur de sa sécurité et se laisse aller à vivre la suite du souvenir.

Tout le Monde est en ligne. Il va falloir sourier, serrer des mains, embrasser ses professeurs et puis montrer son diplôme tout en ayant l'air intéressant histoire de faire une photo qui ferra plaisir aux parents. Je monte les marches de la scène. Une, deux, une, deux. Ça y est. Les projecteurs font de l'endroit une place agréable à la fois et étrange. Je l'ai rêvé je vais le faire. Alors j'attrape le micro et de toutes mes forces arraches les vêtements qui me lient à ce Monde aux règles étroites et carrées.

Et je crie dans le micro : 'Mes Amis, une nouvelle étape pour moi, j'ai acquis ce diplôme. Je vais comme vous tous pouvoir prétendre à une vie meilleure que la moyenne, nous sommes les meilleurs....mais les meilleurs de quoi ? Est-ce que vous vous sentez plus proches de vos rêves dans ces costumes cintrés ? Êtes-vous rassurés de ne pas faire partie de la masse mais de la petite élite qui demain voudra apprendre aux autres à vivre ? Sommes-nous plus humain ?'
Tandis que je dis cela je vois les regards de tous nous plus sur moi mais sur le chandelier central. Il est alors pris d'un lent mouvement de bascule qui va de plus en plus vite. Un silence et puis ce grondement de la Terre qui tremble et qui mets tout le Monde par terre. Je me rappelle l'effort surhumain du principal de notre école qui a tout donné pour me couvrir de son grand manteau afin de cacher cette Nature qu'il ne saurait voir.

C'est probablement une coïncidence mais c'est comme cela que j'ai vécu le début de ce que l'on a ensuite appeler la Rébellion de la Terre. Je me rappelle chaque jour à la télévision les rapports infographiés qui donnait les moyennes de la journée. La terre tremblait presque continuellement d'une intensité d'environ un sur 1'échelle de Richter. Personne n'avait prévu cela et personne ne comprenait ce qui se passait. Les jours se suivaient et puis c'était la routine. On ne cherchait même plus à expliquer le phénomène. Comme ça ne pouvait pas durer indéfiniment un jour cela à changer. Plus de secousses pendant une semaine et puis la régurgitation finale de la Terre qui fut aussi le séisme le plus violent que la planète ait connu à ce jour. Si fort que personne ne sait son amplitude. Ce qui fut la caractéristique principale ce fut que tout sauf le sacro-saint techno-centre des villes, fut détruit. C'est comme cela que j'ai perdu mes parents. Avec moi un jour à l'école la plus riche de la planète. Perdus dans le Monde des gens normaux le jour d'après. Tout ceci c'était passé probablement sur l'espace d'un mois tant et si bien que personne ne me parla jamais de mon acte Naturiste.


Et la Nature était à présent non plus simplement mon corps mais aussi le reste.

Friday, 12 July 2013

Souvenirs



Aller chercher du bois. Cela faisait bien longtemps que Klark n'avait pas entendu ces mots ailleurs qu'à travers l'écran du soir, qui camouflait autant l'ennui que la réalité. Cette petite expression lui avait réchauffé le cœur et fait trémousser la moustache. Sur son chemin il entonnait à présent une chansonnette. Par n'importe laquelle, celle qui en ville était un signe secret de ralliement. Ce n'était pas lebateau de la Méduse...Il était heureux et le périple ne faisait que commencer.

Pour avoir un peu de temps pour souffler ils avaient choisis de faire chacun leur ballade le temps de la récolte du combustible et Albert n'aimait pas cela. Il avait une ouïe peu commune qui lui faisait percevoir des sons que peu pouvait aspirer à entendre. Le crépuscule était un des moments les plus actifs dans la forêt et il le savait bien. Il avançait doucement, observateur, méfiant, retenant sa respiration au besoin, et toujours le dos courbé de façon à ne pas être détecté facilement. Son corps était tendu si bien qu'après cinq minutes il commençait à trembler doucement. Albert ne connaissait que trop bien tout cela. Des quatre membres de l'équipe il était probablement celui qui avait vu le plus. Il avait beau essayer tant bien que mal de se détendre, son corps refusait obstinément. Et cela depuis environ une dizaine d'année. Il n'essayait pas d'oublier mais ces souvenirs étaient d'une intensité telle qu'ils avaient marqué son corps tel un venin qui peux rester dans le sang des mois voire des années, et qui parfois, lorsque que la tension monte, peut se réactiver. En temps normal, il ne pensait pas souvent à tous ces détails. La phrase qui résonnait dans son crane chaque matin était celle prononcée par sa mère avant son départ: Va mon fils et ne te retourne pas. Nous t'attendrons là-bas. Il s'en était allé et se questionnait toujours sur le sens du là-bas. À l'époque, cela avait un sens précis. Au fur et à mesure des évènements un peu moins. La ville avait été rasée de la carte et Albert se demandait toujours si les mots de sa mère avaient été pensés pour être prémonitoires. C’était durant cette longue année de recherche qu'il avait appris à se méfier. Trop nombreux étaient les agences de voyages qui promettaient de partir sur les traces des disparus avec des fausses closes de "pas de papa retrouvé, voyage remboursé". Il s'étaient fait rouler par la machine marketing, s'était rebellé pendant le périple et avait fini par partir seul dans la Nature, tout mais ne pas rentrer à la ville gris et au petit boulot de nuit dans l'espoir de pouvoir voyager sur le lieu-dit. Maya. Y penser le faisait frémir de peur et d'excitation à la fois. Il en était venu à accepter les réactions de son corps et avait appris à évoluer dans la zone rouge. Il prenait appui sur sa pratique de l'apnée depuis son plus jeune âge pour savoir ce dont le corps était vraiment capable. Cette année passée loin de tout l'avait aguerri. Il était revenu avec des indices, des traces, et quelques séquelles. Cela faisait maintenant 5 longues années qu'il s'était tant bien que mal réconcilier avec la ville et des dédales de ruelles. Il avait gardé un cahier orange. Il lui arrivait de le feuilleter et d'essayer de comprendre. Qui était-il pendant ces temps sauvages, qu'avait-il découvert a Maya? Ce dont il était sur était la suite. Réveil sur un lit blanc avec cette étrange marque sur son bras droit. Et puis cette sensation, comme si l'espace qui s'étendait de son épaule gauche à la fin de ses dernières phalanges était mystérieusement difforme. 6.28cms de plus ou alors tel que son ami le matheux lui avait décrit cela, deux Pis. Il lui avait fallu du temps pour se sentir chez lui dans son nouveau corps qui se relevait après une dure chute et ces mémoires envolées. Sa famille, un oncle et une sœur, et ses amis semblaient différents. Le Monde lui semblait modifié. Les couleurs étaient plus intenses et les sons plus précis. Un peu trop pour être normal se disait-il. Il entendait et il voyait tellement plus que les autres. Il se demandait parfois la part de réalité dans ce qui semblait s'afficher autours de lui. Ainsi il voyait souvent cette paire d'yeux noir entourée d'une capuche grise le fixer. Il lui semblait s'agir d'une sorte de mini moine, un mètre de haut pas plus. Il était partout. Entre lui et ses amis au bar, le soir les pieds au plafond et la tête en bas, parfois même assis à côté de lui quand il prenait ses repas seul durant sa pause déjeuner. La vie l'avait touché il était devenu un autre homme. Loin des acrobaties et de l'arrogance de la vie à la télé ou tout est rose, propre et sans douleur, la vie l'avait touché. Il avait l'impression que les seuls qui le comprenaient été ceux comme lui qui avait vécu un traumatisme. Cela ne l'avait  pas découragé, bien au contraire, il se méfiait simplement un peu plus. Et c'est ainsi qu'il était entré à l'Union pour la Nature. Il avait en effet compris que l'argent glané en ville ne lui permettrait sans doute jamais de pouvoir repartir, alors même si tout lui indiquait de ne pas rejoindre l'Union, c'était sa seule option.

Wednesday, 3 July 2013

Etapes

C'était sur ces forums qu'il avait rencontré Pauline. Depuis toujours passionnée par les loutres albinos, celle ci postait régulièrement des photos de ses animaux préférés, de leur prouesse de domptage, de leur belle tenue. Ce contact douillet et vaguement aseptisée avec la Mère, la Mère nature, lui permettait comme à Klark et beaucoup d'autres ames perdues de survivre, de tenir, loin, dans les abimes des villes, loin du sein de la Mère. 

Mais Pauline n'était pas ainsi. Il lui fallait plus. Peut être étaient-ce les vacances, à partir de ses 10 ans, loin dans un petit village reculé. Peut être étaient-ce les souvenirs douloureux atachés au béton, ceux de la séparation de ses parents. Peut être étaient-ce les retrouvailles sincères et instinctives, avec la Mère, lors des weekends en camping sauvage avec ses amis étudiants. Toujours est il qu'elle savait, et que si les loutres albinos étaient un bon coupe faim, il lui fallait plus. Il lui fallait le steak.

Elle avait tenu pendant un temps. Le lycée, les études. Elle était sortie de l’adolescence vers l’age adule en gardant cette touche avec la Mère, ce contact, en retournant régulièrement dans Ses bras, le temps d’un weekend dans les bois, pendant une semaine de vacances perdue dans une campagne lointaine, loin des villes, ou durant ces mois à arpenter la moiteur végétale de pays lointains. A cette époque le temps était abondant; mais l’air des villes n’aimaient pas le temps. La ville suçait le temps de ceux qui rentraient dans lageadulteoulontravaille, de la même façon qu’une chauve souris vide sa victime de son sang.

Pauline avait tenté de survivre, comme les autres, avec cette perfusion de la Mère, ces animaux domestiques. Cela lui permettait de tenir, d’enchainer les lettres de motivations, entretiens et autres compétitions. De tenir, d’accepter désormais Sa distance, de sacrifier son temps à la ville pour un boulotpassurkiffantmaisbonçapaieleloyer. A cette époque, Pauline voulait encore vivre à la ville, pensant avoir quand même du temps pour la Mère. Mais la ville avait prélevé son sanglant loyer et l’avait privé de ses retours vers Elle.

Elle avait explosé en vol. Un entretien, une bonneboitetreselectivequipaiebien. On lui demande ce qui fait la différence entre elle et les 86 autres candidats, bardés des même diplômes et portant les même costumes, identiques en tout points.

« 
-Femme à barbe.
-Pardon ?
-Je suis femme à barbe. Oh, vous ne pouvez pas le voir, je me suis rasé avant de venir. Mais j’ai de la barbe, autant que votre petit fils, celui qui a mon age. Je m’en suis accommodé  Je me rase toutes les deux semaines, et entre temps, je laisse pousser ma barbe comme un jardinier ses buis. Les cinq derniers jours, j’arbore une coupe nouvelle, originale et fraîche  une sculpture sur barbe ou je dessine, j’exprime, je fais de l'art. Ce sont des œuvres éphémères, c'est une ode à tous les barbiers, que je chante toutes les deux semaines. Voila ce qui fera la différence: vous ne vous ennuierez pas de moi, je vous l'assure.
»

La fureur des recruteursévéresmaisquitedonnentenvie devant une telle moquerie, évidemment fausse, avait été sans pareille. Mais sur le chemin de la sortie, c’était autre chose qui perturbait Pauline. Pourquoi, pourquoi faire tout voler en éclat à ce moment la ? Qu’elle était cette chose, cet instinct qui lui avait soudain crié ATTENTION ! ? Elle avait décidé de rejoindre le groupe pour cela. C’était une quête, une recherche, une épopée vers la Mère.

Elle avait gardé de son passé de jeunediploméequichercheuncontratquelquilsoit la capacité à se montrer décidée et ferme, en affirmant des choses qu’elles savaient fausses. La capacité à prendre des décisions, à appliquer la logique à outrance. C’était pour cela qu’elle avait été désignée tête. Même si, au fond, elle le savait, les barbes fleuries et la folie qui les accompagnait étaient proches.

Arnaud secoua la tête, un peu étourdi. Les réveries souvent l’envahissaient ainsi et il contemplait ses amis, repensant à leurs histoire respectives. Ils avaient repris des forces dans la crique, en avaient fait le tour pour y chercher un chemin, et avaient trouvé entre les buissons sauvages un chemin depuis longtemps inutilisé. Celui-ci était large pour environ deux personnes, et grimpait ardemment à travers les rochers puis le long du flanc de la montagne. Des marches taillées dans les rocs du chemin indiquaient que celui ci n’était pas le simple fait d’animaux mais bien de l’Humain.

Ils étaient repartis, escaladant tant bien que mal les rochers, se passant les sac l’un à l’autre dans les passages les plus ardus. Ils étaient à présent sur un versant relativement plat, qui culminait peu à peu vers l’ouest à un passage de col derrière lequel était caché le village. En se retournant, Arnaud aperçu entre les derniers rayons du soleil qui descendaient le lacet final de la route s’évanouir et disparaitre. Ils y étaient, à présent. Il entendait déjà Son appel, sentait Sa chaleur réconfortante. La Mère. Il eut le sentiment de retrouver des sensations depuis longtemps perdues, celle que l'on apprécie en faisant "oooooh" en souriant en réalisant soudain que oui, oui, ça m'avait manqué.

La nuit tombait et tandis qu’Albert, Klark et Pauline établissaient un campement, Arnaud préparait la cérémonie.



Thursday, 27 June 2013

Crique

     C'était une petite zone ronde d'une vingtaine de mètres de diamètre. A cause de la topologie particulière du lieu, les arbres encerclant l'endroit avaient poussé un peu de travers englobant la crique dans une cage de végétation. Rien ou si peu filtrait de l'extérieur si bien qu'un randonneur anodin pourrait facilement passer très proche sans se douter de la présence du lieu. Mais de randonneur anodin il n'y en avait point. Dans cette montagne la Nature avait repris le dessus. Depuis l'invention du goudron et l'intensification de l’agriculture pour nourrir les 5 milliards d'habitants supplémentaires, toutes les zones un peu difficile d'accès avaient été laissées à l'abandon. Les gens s'entassaient dans les villes et les robots dans les champs plats. Pauline était pensive à l'idée de la nouveauté qui l'entourait et qu'il allait falloir dompter, prendre en main, et potentiellement maîtriser. Si bien qu'elle n'entendis pas Klark arriver:

Hé ho du bateau, tu nous donnes un coup de main? - Klark soufflait fort après son ascension.
Vas-y Arnaud passe la corde autours de ta taille et de tes épaules comme cela. Voilà, maintenant un pied sur chaque bord et puis on va te tirer vers le haut pour soulager l'effort. Allez Paupau à trois...un...deux...trois! C'est bon, tu tiens le bon bout, on continue comme ça et dans deux minutes tu es en haut. Super maintenant, à toi Albert...Non ne t'inquiète pas on a fait le bon choix...oui, voilà on ira explorer l'autre côté en revenant...Hein? Une photo? Ok ok mais rapidos alors, ce serait quand même bien d'arriver au village avant la tombée de la nuit. Allez go là, on s'équipe et puis on y va. Voilà gauche d'abord, là, le gros caillou. Albert, que se passe-t-il? - mou dans la corde pendant un instant furtif - Oui je te vois, non rien de spécial, allez tu y es presque. Tu va voir, cet endroit est parfait pour un gros jambon-cornichons – dit Klark en référence à son héros favori.

Il avait été décidé de faire une courte pause. Albert racontait à tout le monde que l'espace d'un instant il lui avait semblé voir quelque chose bouger au loin, sur le chemin. Les deux autres ne semblaient pas plus touchés que cela. Connaissant sa couardise, chacun savait ne pas faire attention à tout ce que disait Albert. Arnaud avait trouvé la bonne expression : tu as aperçu ta propre peur.

Cette crique était littéralement un endroit rêvé pour le moustachu. Depuis bien longtemps, il aimait se laisser entrer dans la peau des trappeurs et autres hommes du monde. Le soir en rentrant du travail il s’affalait dans le canapé et pendant que sa ration du soir tournait en rond dans le petit four il se connectait à la chaîne N, Nature. Il y retrouvait chaque soir un Ranger Joe tout sourire prêt à tout pour lui faire oublier le gris de la ville et penser au vert caché dans le lointain. Les épisodes se suivaient et se ressemblaient. Tout d'abord grand angle et paysage interdit, somptueux, et zoom à n'en plus finir sur cette petite tâche qui se révélait finalement être le Ranger avec son à dos TopTop et son chapeau de paille. Il allait nous raconter une histoire. Ce soir là il s'agissait de l'autruche des bois. Il semblait qu'elle escaladait les troncs à l'aide de son bec et de ses ailes. Ces dernières lui permettaient de léviter dans l'air sylvestre grâce à la forte proportion de spores de champignons dans l'air. Klark, se frottant la moustache, se demandait souvent si tout ceci était bien vrai étant donné qu'il était facile de truquer les images, que les films était fait 100% en studio et que ni l'acteur Joe ni son équipe n'avait probablement été vérifié que ce qu'il présentaient était effectivement conforme à la réalité. Alors dans le secret de la nuit, et souvent jusqu'à une heure bien avancée, il se connectait à la Toile. Et c'est sur de bon vieux forums qu'il entretenait de grande discussions. Forcément, un peu sur la théorie du complot du début des années 2000, sujet devenu iconique dans les cercles de gens qui se questionnaient. Le rôle des grandes multinationales dans la virtualisation du savoir permettait de bien commencer une discussion avec un inconnu. Mais ce que préférait Klark était les discussions plus secrètes, sur la vie dans la Nature. Tout y passait de comment faire du feu, des tables avec des troncs ou alors cuire des animaux. Comment lutter face à un rhinocérose ou un troupeau de marmottes des sables. Il arrivait même parfois que ces discussions se transforment en aventures dans ses rêves. Il était le Ranger Joe et allait apprendre à tous comment on devait s'y prendre pour construire le meilleur bivouac.

Sunday, 16 June 2013

Ascension

"Les lianes."
Rapide et concise. La moustache avait parlé. Personne ne songeât à discuter ou argumenter.
Chacun son rôle. Ils l'avaient décidé sur la route, entre deux pauses, dans un moment de creux ou chacun songeait vaguement à sa vie d'antan, d'hier en fait, si proche et à la fois si loin déjà. C'était Albert qui avait parlé le premier.

"Pénible. C'est pénible ce constant yoyo, de savoir, puis non, de doute et de conviction. Qu'est ce qu'on va trouver la haut? Mais en même temps, que laisse on ici? Oui mais, et si quelque chose va mal? Et si l'un de nous a besoin d'un médecin, de soin? Et quoi, tu préfères rester ici à attendre patiemment de crever d'une infection quelconque, des poumons à force de sucer constamment les pots d'échappements et les cheminées des usines, ou en bouffant un énième plat industriel à la pisse d'auroch de contrefaçon?"
Et Arnaud avait répondu. "C'est vrai. C'est pénible. Je passe moi aussi par toutes ces phases. C'est comme si j'avais besoin de débattre sans arrêt dans ma tête. Parfois j'y pense tellement que ça me coupe du groupe."
Tous acquiescèrent, vaguement soulagés de savoir que la route vers les sommets de l'âme serpentait pour tous le monde. Et la solution vint de Pauline. Ils étaient désormais un groupe. Ils fonctionneraient comme un seul organisme. Ils se partageraient les émotions, les sentiments, les responsabilités. A Pauline la planification, la logistique. A Arnaud l'élévation, la spiritualité. A Albert les doutes, les angoisses. A Klark le jugement, les décisions.

"Les lianes." La décision avait été prise. Chacun l'acceptât en silence. Nouveau monde, nouvelles règles. Et quelque part, c'était plus simple ainsi.

Pauline prit la parole
"Bon. Dans ce cas la, il va falloir me porter, je passerai la première puis je vous enverrais la corde une fois en haut."
"Il n'y a pas de danger, tu es sure?" répondit Albert
Arnaud le regardais en souriant. "Elevons nous, mon ami."

Le bruit descendait doucement le long de ce qui ressemblait au lit d'une cascade asséchée. Deux parois se faisaient face, espacées d'un petit mètre seulement, et agrémentées ça et la de petites touffes végétales, fougères, herbes folles et fleurs rouge vif. Quelques lianes pendaient le long de la paroi, grosses tiges végétales de quelques centimètres de diamètre, sans doute suffisantes pour un appui ponctuel, pas assez pour une ascension complète.

Pauline prit appui sur les deux épaules de ses compères qui s'étaient rapprochée, se souleva une première fois pour poser ses genoux sur une épaule de chaque, puis, en appuyant ses mains sur les deux parois rocheuses, se hissât jusqu'à pouvoir y appuyer également ses deux pieds. La situation était périlleuse, et chacun redoutait de voir leurs plans glisser et … Eviter, éviter d'y penser.

Mais rapidement, Pauline se mit à monter en agrippant deux lianes, et en gardant ses deux pieds en tension entre les parois. Elle fut rapidement en haut, se hissât sur le ventre, essoufflée, extirpant le reste de son corps de l'abime, s'éloignant du précipice. Elle pouvait être la logique, elle n'en avait pas moins des restes d'émotions, et sa peur panique du vide venait de surgir, sans qu'elle l'attende, comme un gros bouton d'acné la veille de la fête du lycée.


Se calmer lui prit quelques minutes. Elle fit un geste rapide pour répondre aux inquiétudes communes qu'exprimait Albert, soufflât pendant encore un instant. La corde, sortir, les autres, en bas. Un point d'attache. Elle n'avait jamais fait d'escalade, aussi elle choisit ce qui lui semblât le plus solide dans son entourage immédiat, un jeune chêne robuste, solidement arrimé à la paroi, prêt à hisser ses compagnons sur la falaise. Quelques tours du tronc, un nœud, puis la corde fut jetée vers l'esprit, le cœur et l'épée, le temps d'apercevoir le vide une dernière fois et de s'en éloigner une bonne fois pour toute. Pauline s'assit par terre, la tête entre les jambes, tournant le dos à l'ascension de ses amis. Les yeux fermés, elle se concentra une dernière fois, respira un grand coup et décida de ne plus y penser. Ce n'est qu'en relevant la tête qu'elle découvrit la crique qui l'entourait, et que la peur l'avait empêché de voir quelques instants auparavant.

Sunday, 9 June 2013

Symphonie

La voiture couinât une nouvelle fois, de façon plus insistance, comme si elle voulait nous dire quelque chose. Il fallu un troisième bruit pour alerter nos marcheurs et lorsque Pauline se retourna c'était déjà trop tard. La voiture était libre et dévalait la pente en direction du torrent.

« Le frein à main, bordel, le frein à main ! » fit Albert, se parlant à lui-même, en passant à toute allure devant Pauline. C'était trop tard, la voiture plongea la tête la première dans l'eau glacée de la rivière et disparut peu à peu en laissant les arbres des alentours marqués de son passage. Après un silence gêné la conversation explosa. Comment en était-on arrivé là, pourquoi Albert avait-il oublié le frein? Voilà on aurait pas du le laisser conduire dix heures d'affilés dans ces routes sinueuses, certes on voulais arriver a temps mais bon, a quoi bon si on devait déjà faire demi-tour. C'est Pauline qui finalement répondit à la question que tous se posait .

« Mes amis, hier encore nous étions en ville, dans nos appartements, dans nos villas, dans nos piscines. Le signe s'est manifesté et nous sommes partis. Nous avons suivis le chemin, bon gré mal gré, et nous voici maintenant au début de la voie. Le futur est dans cette direction » Elle montrait de la main le sentier serpentant a travers la vallée et s’élevant sur le flanc de la montagne. Il faudrait le suivre pour débuter l'aventure. Le groupe se mit en marche. Durant la première demi-heure, seul les bruits des pas et le tintements des casseroles brisait le silence de cette fin de matinée. Arnaud, décida que c'était le moment opportun pour tester son système et décida d’agréer la ballade d'une mélodie radieuse jouée à mi-volume. Arnaud remarqua que des haies de cyprès marquait le bord du chemin et bientôt ils arrivèrent à la lisière de la fôret.

Les sous-bois avait une odeur de sève et la musique résonnait sur les troncs donnant un côté mystique aux notes clairsemées. Les rayons de soleils filtraient a travers le couvert feuillus et se reflétaient sur l'humidité du sol et des fougères. Il était doux de se laisser bercer dans cette belle journée qui ne faisait que commencer.

« C'est incroyable tout de même. Elle était là et puis pouf disparue. Enfin je sais pas moi elle datait de 1927, la dernière année. Peut-être même la dernière tout court comment on le saurait....
- La voiture n'existe plus – remarqua Arnaud.
- Ca y est tu es encore en mode yogi ou je sais pas trop quoi, a faire genre on a rien mais on est content. C'était mon trésor, tu sais combien de thunes j'y ai passé ? Et les pâtes au beurre a se farcir pour un phare...A lala elle ne m'aura pas donné une vie facile tiens. Elle se croyait tout permis c'est moi qui vous le dit. Au fond, elle l'a sûrement méritée. Peut-être même que je l'ai fait un peu exprès, je me rappelle plus très bien. - il se grattait la tête.
- Bon on va pas en faire des salades de ta voiture – dit l'un.
- Une de perdue zéro de retrouvée, tu verras on est bien mieux comme ça. Et puis c'est ce que l'on s'était dit non ? On se débarrasse de l'inutile au fur et à mesure.
- Enfin moi j’espère qu'on va pas finir à poil quand même, je sais ce que l'on a dit mais bon...
- Shhhhhh » .
Pauline était arrêtée le poing en l'air. Il fallait faire silence.

Et depuis le fond des bois ils entendirent comme un chuchotement. D'abord peu distinct, et au fur et à mesure que les secondes s'écoulaient c’était de plus en plus clair : le ruisseau ne pouvait plus être loin. Le chant de l'eau sur les roches plates arrivait maintenant comme une pensée, invisible mais si intense. Klark se frottait la moustache en fronçant les sourcils. Il semblait que cette étrange moue lui permettait de se concentrer mieux et plus vite qu'aucun, Il fallait choisir. Le son semblait provenir d'un endroit directement au-dessus d'eux tandis que le chemin allait vers ce qui semblait être l'entrée d'un passage ciselé par des humains. Fallait-il grimper en s'aidant des lianes au besoin ou poursuivre sur le sentier ? La moustache donna son avis.