- Albert ?
Il se retourna avec un sursaut. C’était Klark.
-On va commencer, tu viens ? Tu as trouvé du bois ?
-Un peu.
-Ca va ?
-Ca va.
Instant de battement. Klark avait presque l’impression d’entendre les engrenages du cerveau d’Albert grincer, lutter, se dégripper peu à peu.
-C’est amusant la mémoire. Un peu comme un secrétaire gigantesque avec des multitudes de tiroirs imbriqués les uns dans les autres, et avec dans chaque son lot d’instants passés. J’ai perdu la clé de toute une partie du meuble le jour ou je me suis réveillé à la ville. Parfois j’ai des tiroirs qui s’ouvrent à l’improviste. C’est étrange comme sensation. Comme un éternuement coincé qui finit par sortir quand tu t’y attends pas.
-Tu étais ou ?
-Au début de la rébellion. On y va ?
Il se retourna avec un sursaut. C’était Klark.
-On va commencer, tu viens ? Tu as trouvé du bois ?
-Un peu.
-Ca va ?
-Ca va.
Instant de battement. Klark avait presque l’impression d’entendre les engrenages du cerveau d’Albert grincer, lutter, se dégripper peu à peu.
-C’est amusant la mémoire. Un peu comme un secrétaire gigantesque avec des multitudes de tiroirs imbriqués les uns dans les autres, et avec dans chaque son lot d’instants passés. J’ai perdu la clé de toute une partie du meuble le jour ou je me suis réveillé à la ville. Parfois j’ai des tiroirs qui s’ouvrent à l’improviste. C’est étrange comme sensation. Comme un éternuement coincé qui finit par sortir quand tu t’y attends pas.
-Tu étais ou ?
-Au début de la rébellion. On y va ?
Ils
repartirent vers le campement en attrapant quelques branches au passage. Albert
n’avait visiblement pas envie de partager plus que ça son souvenir avec Klark. Celui-ci
aurait pourtant bien aimé en discuter un peu plus. C’était toujours une des
premières questions qu’il posait aux personnes qu’il rencontrait, ou ils
étaient le jour de la rébellion Il était toujours fasciné par ses histoires.
Certaines étaient pourtant assez banales : pour la plupart des gens, le
vrai choc était venu plus tard, avec l’aboutissement de la rébellion, la
destruction de Maya et les pertes innombrables d’êtres chères qui étaient
venues avec. Mais pourtant. Il prenait un certain plaisir à les écouter, ces
histoires, ces petits moments anodins du passé qui, à l’éclairage d'aujourd’hui
prenaient un sens différent. Il aimait entendre ces sortes de prophéties
obscures, promesses terribles et à la fois fascinantes pour le changement qu’elles
apportaient. Le changement.
Ils arrivèrent au camp et s’assirent autour du feu qu’entretenait maintenant
Arnaud. Pauline était assise, la tête entre les genoux, songeuses. A part
Arnaud, aucun n’aurait su comment faire un feu. En fait, ils n’avaient presque
même jamais vu de feu. A la ville du tout électrique et du tout sans danger, le
feu n’existait plus depuis longtemps sous sa forme primitive. Les plaques à
induction, les briquets électro magnétiques et les chauffages à hydrogène avaient pris le relais. Alors, en faire ? Brûler du bois ? Ils savaient
que c’était possible. Rien de plus.
Arnaud
se leva et attrapa derrière lui ce qui ressemblait à deux petits bols grisâtre
de la taille d’un poing à peu prés. Il les posa un peu plus proche du feu, puis
se saisi d’un paquet de branches et de feuilles de petites tailles. Il raconta.
Le feu, c’était eux. Les feuilles, c’était la ville. Les branches, c’étaient
les autres. Le feu se nourrissait des branches et des feuilles. Mais parfois,
on voulait faire grandir le feu trop vite. On lui donner à manger des feuilles,
des branches, des feuilles, des branches, tant et si bien que le feu cessait d’essayer
de brûler mais uniquement de consommer ces branches, ces feuilles. Il finissait
par disparaître éteint par sa gourmandise et les attentes de ceux qui le
nourrissaient.
Le
froid les attrapât d’un coup, tandis que les braises rouges qui restaient,
étouffées, se tentaient peu à peu de noir et s’étouffaient. Que leur restait il ?
Si le bois et les feuilles ne pouvaient rien pour le feu, que pouvaient ils
faire ? Arnaud parla alors de l’union pour la nature. Du grand départ. De
ce vent puissant qui les avait ceuillis, rassemblés et poussés hors de la
ville. Ce vent qui, à présent qu’il soufflait sur les braises, ranimait les
braises, réchauffait les feuilles, illuminait les brindilles, transformant en
quelques instants le tas de brindilles tiédes en foyer ardent, dépassant de
loin le foyer initial, illuminant même les arbres loin, loin derrière Arnaud.
-Et
après ? Demanda Pauline. Et après ? Ca brule, c’est bien. Et ensuite ?
-Ensuite, tu as chaud. Ensuite, tu te fais à manger. Ensuite tu prend un peu de ça, dis Arnaud en lui mettant dans la main une poudre sorti d’un de ses deux bols gris. Ensuite, tu peux les jeter dedans, et donner des couleurs à ton feu, si tu veux. Ensuite, tu peux prendre des braises et foutre le feu à la forêt. Ensuite, tu peux jongler avec des branches enflammées. Ensuite, tu peux cautériser une plaie. Ensuite, tu fais ce que tu veux. C’est la beauté du feu : tu peux en faire ce qu’il te plait. Peut importe. Utilise le, nourris le, aime le. C’est tout ce qui compte. Ne le laisse pas s’éteindre.
Ils
prirent tour à tour quelques poignées des poudres d’Arnaud, se demandant d’où elles pouvaient bien venir, produits de la ville ou don de la Mère. Mais dans un sens
est ce que la ville n’était pas elle aussi un don de la Mère ? Comme des
cookies mangés jusqu’à vomir.
Le
feu prenait maintenant des couleurs vives, aux gré des mélanges jetés un à un
sur le feu par les amis, qui ne parlaient plus. Chacun dessinait son tableau éphémère,
individuel, mettant dans chaque couleur une sorte de signification secrète
propre à chacun ; mais qui pourtant trouvait une forme de résonance chez
les autres. Peu à peu le tableau se transforma, ce n’était plus tableaux
individuels, mais bien un seul feu, majestueux, magnifique, et chaque
contribution d’un des quatre amis venait compléter la précédente, les émouvant
jusqu’aux larmes de se comprendre ainsi, comme des retrouvailles après une très
longue séparation.